Après crise. On change tout, ou on repart comme avant ?

Image par Sebastian Thöne de Pixabay

La crise du Covid-19 a mis en lumière un certain nombre de fragilités au sein des entreprises et de nos sociétés. Ceci d’autant plus que le ralentissement -pour ne pas dire l’arrêt- de l’activité, et les contraintes du confinement nous ont conduit à une prise de recul et une réflexion sur nos habitudes de vie et nos modes de travail.

C’est un point positif ce cette crise – maigre consolation- au milieu du flot de catastrophes et de mauvaises nouvelles. Mais ces réflexions, encore menées à chaud, demeurent empreintes de l’émotion suscitée par la crise et par le sentiment diffus, bien que non dénué de fondement, que « quelque chose ne tourne pas rond ».

Effectivement, quelque chose ne tourne pas rond. Au moins deux éléments tendent à le montrer.

En premier lieu, cette crise a révélé la fragilité de nos sociétés et l’extrême vulnérabilité de nos économies, à un phénomène dont l’ampleur, quoi qu’on ait pu en dire, est loin d’être séculaire. L’épidémie de grippe de Hong-Kong avait causé de fin de 1968 au début de 1970 un nombre de décès légèrement supérieur. Et l’économie ne s’était pas arrêtée pour autant (la croissance du PIB en France fut 7,1%(1) en 1969 et de 6,1%(1) en 1970).

La capacité à encaisser les épreuves sans broncher était–elle à l’époque plus développée qu’aujourd’hui ? Peut être, en raison de la présence aux commandes et en tant qu’actifs, de générations ayant vécu des drames sans commune mesure avec ces crises sanitaires (pensons juste à la Seconde Guerre mondiale, aux guerres d’Indochine ou d’Algérie). Est-ce du au développement spectaculaire des moyens d’information ou de communication, dont certains ont fait de la peur et du sensationnel leur fonds de commerce ? Probablement aussi.

Toujours est-il que la paralysie de tout un pays et même de plus de la moitié du monde en raison d’une crise sanitaire, même si personne ne conteste le fait qu’il était indispensable de la combattre vigoureusement, n’est pas sans poser quelques questions.

Ceci permet de faire lien avec le second point. L’épidémie de Covid a déclenché une mobilisation et des réactions d’une rapidité et d’une ampleur remarquables. Peu de catastrophes ont mobilisé en si peu de temps autant de gouvernement, de moyens humains, financiers, de communication etc. Et par contrecoup cela a mis en lumière la relative indifférence avec laquelle nous traitons des drames aux conséquences encore plus lourdes : la faim dans le monde a déjà fait près de 4 millions de mors depuis le 1er janvier, et plus près de chez nous, la pollution atmosphérique est responsable de 48000 décès par an(2), rien qu’en France. Soit plus d’une fois et demi le bilan de l’épidémie de Covid. Tous les ans !

La conviction d’un changement nécessaire, mais une cible encore floue

De cette prise de conscience soudaine de dérèglements anormaux, émergent de nombreux avis pour le moins tranchés, voire définitifs.  Dans un grand journal national réputé pour son sérieux et sa modération : « La crise que nous traversons nous oblige à repenser notre modèle économique et sociétal à l’aune de la durabilité(3) ».  Rien que ça ! Ces avis semblent refléter des émotions à chaud, une sensibilité exacerbée la situation vécue depuis trois mois, plus qu’une réflexion aboutie et menées dans le contexte propre d’une société (pays), d’un secteur d’activité ou d’une entreprise.

On voit également émerger un certain nombre de solutions miracles : l’une d’entre elles est source de débats abondants sur tous les forums. Il s’agit du télétravail. Cette pratique  est parfois présentée comme l’alpha et l’oméga de l’organisation du travail, permettant de s’affranchir de toutes les contraintes ; chacun de nous a dans son entourage des collègues, des amis, fiers d’affirmer que grâce au télétravail, ils ont poursuivi leur activité sans encombre, voire de manière plus efficace.

Leur enthousiasme et leur détermination sont louables, mais si ce mode d’organisation présente des avantages dans certaines situations particulières, pas uniquement en temps de crise d’ailleurs,  il ne peut se substituer sur le long terme à des relations construites par le fait de travailler ensemble et au même endroit. Une entreprise est bien plus qu’un ensemble d’individus travaillant séparément chacun dans son coin et dont les échanges se limitent à quelques sessions de vidéoconférences désincarnées. Certains ont aussi vu là une opportunité de réduire les surfaces de bureaux, autrement dit de reporter les charges immobilières des entreprises sur leurs salariés.

Si le seul enseignement que l’on tire de cette crise, c’est la possibilité de réduire les surfaces de bureaux, c’est que n’aurons rien compris et nous nous préparons à une période très douloureuse lorsque surviendra la prochaine crise.

Mais alors, rien ne change ? Si, beaucoup de choses sont susceptibles de changer ; mais il est trop tôt pour dire lesquelles, et à quelle vitesse. Certains acteurs chercheront peut-être à raccourcir leur chaîne logistique, à te-privilégier un sourcing de proximité, alors que d’autres se soucieront de créer des canaux de vente alternatifs afin de maintenir en toutes circonstances le lien avec les clients, ou que d’autres encore seront préoccupés par le maintien de l’accès de leurs employés à leur poste de travail et aux système d’information de l’entreprise. Ou bien d’autres choses dont nous n’avons pas idée à l’instant présent.

Quoi qu’il en soit, ces changements viendront d’une prise de conscience collective qui amènera progressivement à faire évoluer certains principes, certaines règles ou certains modes de fonctionnement.

Le changement passe par un retour d’expérience sans concession

Cette prise de conscience se fera d’autant plus facilement que les organisations auront pris le soin de réaliser une analyse à froid de l’épisode qu’elles ont traversé. Cette analyse, ou retour d’expérience, devra se baser sur les faits, identifier les impacts subis, leurs causes et les mécanismes qui les ont rendus si forts ou si peu évitables.

Elle va bien entendu mettre en évidence des facteurs liés à la nature de la crise (une épidémie), mais également des facteurs internes à l’entreprise (ou à la collectivité) qui ont aggravé les impacts ou limité la capacité à y faire face. Ces derniers sont les plus intéressants car ils permettent d’identifier des fragilités de l’organisation, et parant de là de renforcer la résilience à des crises futures, fussent-elles de nature complètement différente (voir à ce sujet un article précédent consacré à la construction d’organisations plus résilientes(4) )

Les bouleversements générés par la crise créent les conditions favorables à réflexion approfondie, dépassant le cadre généralement fixé, les paradigmes établis. La porte étant ouverte, cette réflexion peut englober les préoccupations plus larges allant jusqu’à la mission de l’entreprise, son rôle vis à vis de grands enjeux tels que le changement climatique, sa responsabilité sociale… Il serait dommage de ne pas en profiter.

A défaut, des mesures pourraient être prises, mais elles seraient opportunistes, d’ordre tactique. D’une certaine manière, on repart comme avant, mais avec 30 % de bureaux en moins…

Ce n’est que sur la base d’une réflexion structurée que pourront s’opérer des changements profonds, de niveau stratégique, et à même de susciter une large adhésion. Une telle opportunité ne se présente pas tous les jours. Saisissons la !

(1) Source : Banque Mondiale

(2) Source : INVS, ONIRS, Santé Publique France

(3) Le Monde – 2 juin 2020

(4)   https://www.astonconsulting.fr/index.php/2020/05/22/rendons-les-organisations-plus-resilientes/